Transposition de la directive « DAC 6 » en droit luxembourgeois

Dans le cadre de la coopération administrative dans le domaine fiscal, l’Union Européenne a adopté des directives dites « DAC » (Directive on Administrative Cooperation) dont l’objectif est la mise en place d’échanges d’informations entre les différents États membres dans le domaine des impôts directs.

Ces directives, au nombre de 6 à ce jour, ont pour but de garantir aux États membres de pouvoir imposer leurs contribuables indépendamment du pays dans lequel ils travaillent, prennent leur retraite, possèdent un compte bancaire, investissent ou font des affaires ainsi que de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. En effet, la fiscalité directe n’étant pas harmonisée au niveau de l’Union Européenne, chaque État Membre garde sa souveraineté en la matière et est ainsi libre d’instaurer ses propres règles fiscales dès lors certains contribuables parviennent, du fait de cette liberté, à éviter ou à éluder l’impôt dans leur pays de résidence.

L’Union Européenne a donc mis en place un certain nombre de règles concrétisées par l’adoption des directives « DAC » imposant aux États membres d’échanger, selon le cas, de manière spontanée, automatique ou sur demande des informations dans le domaine fiscal concernant les contribuables.

Chacune des six directives vise des informations dans un domaine particulier. La dernière en date, la directive (UE) 2018/822 dite directive « DAC 6 » a été adoptée le 25 mai 2018 par l’Union Européenne. Elle impose la mise en place d’un échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières de planification fiscale potentiellement agressive (la « Directive »).

Cette Directive a pour but principal de faire face à l’évolution de la complexité des dispositifs de planification fiscale en imposant un échange d’information entre tous les États membres concernant certains de ces dispositifs transfrontaliers potentiellement agressifs afin de procurer aux administrations fiscales des États membres des informations complètes et pertinentes sur les opérations de planification fiscale mises en place par les contribuables et ainsi permettre aux États membres de réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables et de remédier aux éventuelles lacunes constatées.

Dans ce contexte, le Parlement luxembourgeois a adopté le 21 mars 2020 le projet de loi n°7465 transposant en droit luxembourgeois la Directive (la « Loi »).

La Loi introduit une obligation pour les intermédiaires (tels que définis au point 1. A. ci-dessous) concevant, commercialisant ou organisant un dispositif transfrontière, ainsi que dans certains cas pour le contribuable concerné lui-même (tel que défini au point 1. B. ci-dessous), de déclarer à l’Administration des contributions directes (« ACD ») certaines informations énumérées par la Loi relative aux transactions internationales qui présentent un caractère potentiellement agressif sur le plan fiscal, en raison de la présence d’au moins un élément caractéristique visé par la Loi.

1. Les personnes concernées

A. Les intermédiaires

Aux termes de la Loi, un intermédiaire est défini comme étant toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gère la mise en œuvre. La Loi ajoute qu’un intermédiaire peut également être toute personne qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l’expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu’elle s’est engagée à fournir, directement ou par l’intermédiaire d’autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l’organisation d’un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en œuvre ou la gestion de sa mise en œuvre.

La Loi précise en outre que, pour être un intermédiaire soumis à déclaration, une personne doit répondre à au moins l’une des conditions suivantes :

  1. Être résident dans un État membre à des fins fiscales ;
  2. Posséder dans un État membre un établissement stable par le biais duquel sont fournis les services concernant le dispositif ;
  3. Être constitué dans un État membre ou régie par le droit d’un État membre ;
  4. Être enregistré auprès d’une association professionnelle en rapport avec des services juridiques, fiscaux ou de conseil dans un État membre.

Il résulte de ces conditions, qu’un intermédiaire doit avoir un lien avec l’un des États membres et que dès lors un intermédiaire d’un pays tiers n’est pas visé et n’a donc aucune obligation de déclaration. Dans ce cas, il incombe au contribuable concerné de procéder lui-même à la déclaration du dispositif transfrontière. Tel est également le cas lorsque le contribuable concerné a lui-même conçu et mis en œuvre un tel dispositif ou lorsque l’intermédiaire bénéficie du secret professionnel (voir ci-dessous).

La définition d’un intermédiaire par la Loi est donc très vaste et peut englober notamment les banques, les comptables, les cabinets d’avocats, les conseillers fiscaux et financiers, les consultants ou les compagnies d’assurance ainsi que tous les prestataires de services suffisamment éclairés sur le contexte de l’opération dans le cadre de laquelle ils interviennent.

La conséquence directe de ce large panel de personnes potentiellement considérées comme des intermédiaires, est qu’il sera probablement très fréquent de voir une implication de plusieurs intermédiaires sur la mise en place d’un seul et même dispositif transfrontière. Dans cette situation, l’obligation de déclaration des informations incombera à l’ensemble des intermédiaires concernés sauf à ce qu’un intermédiaire prouve que les informations relatives au dispositif transfrontière concerné ont déjà été transmises par un autre intermédiaire auquel cas il sera exempté de son obligation de déclaration.

Par exception, la Loi prévoit une dérogation à l’obligation de déclaration pour les intermédiaires qui sont soumis à loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat, à la loi modifiée du 10 juin 1999 portant organisation de la profession d’expert-comptable ainsi qu’à la loi modifiée du 23 juillet 2016 relative à la profession de l’audit lorsque ces personnes agissent dans les limites applicables à l’exercice de leur profession. Toutefois, lorsque cette dérogation est applicable, l’intermédiaire est tenu de notifier, au plus tard dans un délai de dix jours à tout autre intermédiaire, et en l’absence d’un autre intermédiaire au contribuable concerné, les obligations de déclaration qui leur incombent et de mettre à disposition du contribuable concerné, le cas échéant, les informations nécessaires au respect de l’obligation de déclaration.

B. Le contribuable concerné

Le contribuable concerné est défini comme étant toute personne à qui un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration est mis à disposition aux fins de sa mise en œuvre, ou comme étant toute personne qui est disposée à mettre en œuvre un tel dispositif ou qui a mis en œuvre la première étape d’un tel dispositif.

2. Les dispositifs concernés

Les dispositifs concernés par l’obligation de déclaration par l’intermédiaire ou le cas échéant le contribuable concerné, sont les dispositifs transfrontières ayant pour objet un impôt direct, excluant la taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane, les droits d’accises couverts par d’autres textes de législation de l’Union relatifs à la coopération administrative entre États membres et les cotisations sociales obligatoires et comportant au moins l’un des marqueurs figurant à l’annexe de la Loi.

Les marqueurs sont définis par le considérant 9 de la Directive comme des caractéristiques et des éléments des opérations présentant des signes manifestes d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives. Ils sont de deux types, les marqueurs généraux qui nécessitent pour être pris en compte que le dispositif concerné satisfasse le critère de l’avantage principal tel que détaillé ci-dessous et les marqueurs spécifiques qui pour une partie nécessitent également de satisfaire au critère de l’avantage principal et pour une seconde partie déclenchent l’obligation de déclaration sans nécessiter de recherches supplémentaires. Ces marqueurs sont également regroupés en cinq catégories suivantes :

  • A. Marqueurs généraux liés au critère de l’avantage principal
  • B. Marqueurs spécifiques liés au critère de l’avantage principal
  • C. Marqueurs spécifiques liés aux opérations transfrontières
  • D. Marqueurs spécifiques concernant l’échange automatique d’informations et les bénéficiaires effectifs
  • E. Marqueurs spécifiques concernant les prix de transfert

Le Loi prévoit qu’un certain nombre de marqueurs ne déclencheront une obligation de déclaration que lorsqu’ils remplissent le « critère de l’avantage principal ». Ces marqueurs sont les marqueurs généraux relevant de la catégorie A, les marqueurs spécifiques relevant de la catégorie B ainsi que ceux de la catégorie C, paragraphe 1, lettres b) i), c) et d) de Loi. Ce critère de l’avantage principal sera rempli s’il peut être établi que l’avantage principal ou l’un des avantages principaux qu’une personne peut raisonnablement s’attendre à retirer d’un dispositif est l’obtention d’un avantage fiscal sur le territoire de l’Union européenne ou en dehors de ce territoire.

Afin de déterminer si un dispositif concerné doit être déclaré à l’ACD sur base des marqueurs nécessitant de vérifier s’il satisfait le critère de l’avantage principal, il convient notamment de mettre en balance la valeur de l’avantage fiscal obtenu grâce au dispositif avec la valeur des autres avantages retirés du même dispositif, ce n’est que si l’avantage fiscal prend le dessus sur les autres avantages dont notamment l’avantage commercial que le dispositif doit être déclaré.

Les autres marqueurs, ceux des catégories D et E ainsi ceux repris au paragraphe 1) lettre a) ainsi que lettre b) ii) et aux paragraphes 2, 3 et 4 de la catégorie C se suffiront à eux-mêmes et déclencheront d’office l’obligation de déclaration

3. ​​​​​​​Les déclarations des informations concernées

L’obligation de déclaration des dispositifs transfrontières s’appliquera dès l’entrée en vigueur de la Loi prévue le 1er juillet 2020 avec un effet rétroactif au 25 juin 2018 pour les dispositifs transfrontières dont la première étape a été mise en œuvre à compter de cette date.

Par conséquent, au 1er juillet de cette année, les intermédiaires devront déclarer à l’ACD les informations telles qu’énoncées ci-dessous dont ils ont connaissance, qu’ils possèdent ou qu’ils contrôlent concernant les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration dans un délai de trente jours suivant le jour où le dispositif sera mis à disposition, sera sur le point d’être mis en œuvre ou aura été mis en œuvre après la première étape, selon ce qui se sera produit en premier. Concernant les dispositifs transfrontières dont la première étape a été mise en œuvre entre le 25 juin 2018 et le 30 juin 2020, les déclarations y relatives devront être transmisses à l’ACD par les intermédiaires ou selon le cas par les contribuables concernés au plus tard le 31 août 2020.

En outre, dans le cas de dispositifs commercialisables, les intermédiaires sont tenus d’établir tous les trois mois un rapport fournissant une mise à jour contenant les nouvelles informations devant faire l’objet d’une déclaration qui sont devenues disponibles depuis la transmission du dernier rapport.

La forme et les modalités en matière de transmission des informations seront déterminées par règlement grand-ducal non encore disponible à ce jour.

Par ailleurs, chaque contribuable concerné est tenu de déclarer dans le cadre de sa déclaration annuelle pour l’impôt sur le revenu l’utilisation qu’il fait du dispositif pour chacune des années où il l’utilise.

L’échange automatique d’informations par l’ACD aux autorités fiscales de tous les autres États membres est effectué dans un délai d’un mois à compter de la fin du trimestre au cours duquel les informations ont été transmises. Les premières informations seront communiquées le 31 octobre 2020 au plus tard.

Les informations relatives aux dispositifs transfrontières qui doivent être transmises à l’ACD comprennent les éléments suivants :

  • a) L’identification des intermédiaires et des contribuables concernés, y compris leur nom, leur date et lieu de naissance (pour les personnes physiques), leur résidence fiscale et leur numéro d’identification fiscale.

    Dans le cas où une entreprise associée (*1) au contribuable concerné participe au dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, l’identification comprend également le nom, la date et le lieu de naissance (pour les personnes physiques), la résidence fiscale et le numéro d’identification fiscale de cette entreprise associée ;

  • b) Des informations détaillées sur les marqueurs recensés à l’annexe de Loi selon lesquels le dispositif transfrontière doit faire l’objet d’une déclaration ;
  • c) Un résumé du contenu du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, y compris une référence à la dénomination par laquelle il est communément connu, le cas échéant, et une description des activités commerciales ou dispositifs pertinents, présentée de manière abstraite, sans donner lieu à la divulgation d’un secret commercial, industriel ou professionnel, d’un procédé commercial ou d’informations dont la divulgation serait contraire à l’ordre public ;
  • d) La date à laquelle la première étape de la mise en œuvre du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration a été accomplie ou sera accomplie ;
  • e) Des informations détaillées sur les dispositions légales des États concernés sur lesquelles se fonde le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ;
  • f) La valeur du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ;
  • g) L’identification de l’État membre des contribuables concernés ainsi que de tout autre État membre susceptible d’être concerné par le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration ;
  • h) L’identification de toute autre personne susceptible d’être concernée par le dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration en indiquant à quels États membres cette personne est liée.

4. Les sanctions

La Directive impose aux États membres de prévoir en droit national des sanctions appropriées, effectives, proportionnées et dissuasives contre la violation des règles mettant en œuvre la Directive. Le Luxembourg a donc prévu une amende d’un montant maximum de 250.000, – euros à l’encontre de l’intermédiaire ou du contribuable concerné ayant une obligation de transmission ou de notification au Grand-Duché de Luxembourg en vertu de la Loi en cas de défaut de transmission des informations, de transmission tardive ou de transmission de données incomplètes ou inexactes, ou en cas d’inobservation par les intermédiaires de leurs obligations.


*1 « entreprise associée » : une personne qui est liée à une autre personne de l’une au moins des façons suivantes :

  1. une personne participe à la gestion d’une autre personne lorsqu’elle est en mesure d’exercer une influence notable sur l’autre personne ;
  2. une personne participe au contrôle d’une autre personne au moyen d’une participation qui dépasse 25 pour cent des droits de vote ;
  3. une personne participe au capital d’une autre personne au moyen d’un droit de propriété qui, directement ou indirectement, dépasse 25 pour cent du capital ;
  4. une personne a droit à 25 pour cent ou plus des bénéfices d’une autre personne.